« Ténèbres, rassemblez-vous ! » de Sen Inoue. one shot

La collection Hurlements des éditions Black Box est décidément une très bonne initiative. Lancée en septembre 2022 avec les « Contes noirs » de Noroi Michiru, celle-ci permet aux lecteurs français de découvrir des mangakas d'horreur jusqu'ici méconnus dans nos contrées. Sen Inoue fait partie de ces auteurs que la maison d'édition nous permet de découvrir, et c'est avec le recueil d'histoires courtes Ténèbres, rassemblez-vous ! que ce dernier foule pour la seconde fois le sol français, après la publication de son one-shot Gallia Nikki.

Puisant dans le folklore européen, cette anthologie au style étonnant compile neuf nouvelles d'épouvante publiées en 1986 dans la revue mensuelle Halloween. On est en plein cœur des années 1980 et le magazine, destiné aux jeunes filles en mal de frisson, vient d'être lancé dans les kiosques nippons. Il a encore de belles heures devant lui et accueillera de nombreux auteurs de manga reconnus tels que Kazuo Umezu, Junji Ito ou encore Ochazukenori. Un environnement particulièrement propice, donc, à recevoir le jeune talent de monsieur Inoue.

Le recueil nous embarque avec une première histoire intitulée Hôpital aile D1, dans laquelle une jeune femme, victime d'un étrange mal, se voit offrir l'opportunité de goûter aux plaisirs de l'immortalité. D'une petite vingtaine de pages, cette entrée en matière explore le thème du vampirisme par le prisme de la médecine ; un point de vue que l'on apprécie tout spécialement dans la fiction et qui offre ici de jolies expérimentations visuelles.

La seconde nouvelle, Les Lamentations de Lilyane, aborde quant à elle la solitude et la froideur de la mort, à travers le regard d'une jeune fille hantée par des hallucinations sordides... Visions terribles que partagera également l'héroïne du récit Un visage dans l'ombre, dans laquelle la douce Nei se voit assaillie de cauchemars toujours plus déroutants depuis que sa mère a disparu.

S'inspirant des mythes et des contes occidentaux, ne manquant pas au passage d'exercer son influence sur le domaine des rêves, Sen Inoue invite le lecteur à plonger dans une obscurité infinie en distillant un certain trouble dans son cœur. Si les récits n'ont pas tous la même qualité, le mangaka propose malgré tout un florilège de nouvelles originales, relativement bien narrées, et qui mélangent les genres avec une certaine agilité. En guise de cinquième chapitre, l'auteur nous régale tout de même d'un récit d'horreur dans lequel le Père Noël, figure emblématique de l'innocence et évocateur de joie pour de nombreux enfants à travers le monde, se révèle être une entité démoniaque avide de mort.

Visuellement, si Inoue propose parfois un dessin un peu inégal un peu trop crayonné, ou en décalage avec le genre qu'il explore, il impressionne tout de même par sa capacité à retranscrire la tristesse et la solitude de ses personnages, en proie à la terreur. Très certainement influencé par les gravures européennes et la littérature romantique, il insuffle à ses planches un style gothique qui se met entièrement au service de ses récits. Raffinés, parfois très « féminin » dans le trait, les dessins du mangaka évoquent l'horreur sans jamais trop la montrer frontalement, ce qui fait de son recueil un ouvrage parfait pour les lecteurs qui ne supporteraient que trop peu la vue du sang ou les scènes de mutilation, souvent inhérente au genre.